Au Québec, la diffamation sur Internet et les réseaux sociaux tels que Facebook est aujourd’hui un enjeu de société. Nos avocats en droit civil vous donnent la définition du terme « diffamation » et vous expliquent les risques de publier en ligne des propos diffamatoires sur une autre personne.
Cet article documente la chronique de Me Pierre-Luc Mélançon, avocat chez Verreau Dufresne, à l’émission « Bouchard en parle » (FM93) le 9 janvier 2017. Article mis à jour en août 2019.
Diffamation : la définition
« Légalement, votre liberté d’expression s’arrête lorsqu’elle viole le droit à la réputation d’une autre personne. Si vous dépassez cette limite, on parle alors de diffamation et les conséquences peuvent être désastreuses. » – Me Pierre-Luc Mélançon.
Le Code civil du Québec et la Charte québécoise des droits et libertés de la personne accordent à toute personne le droit de s’exprimer librement. Ces mêmes lois accordent également à toute personne le droit au maintien de sa réputation et de sa vie privée.
Les propos diffamatoires sont verbaux ou écrits. Ils portent atteinte à la réputation d’une autre personne. Ils la rabaissent, la ridiculisent ou provoquent de la haine à son égard.
Plus les propos diffamatoires sont rendus publics et sont partagés sur les réseaux sociaux, plus ils causent des dommages à la victime. Également, plus les propos diffamatoires sont précis et permettent d’identifier la victime, plus les tribunaux sanctionnent sévèrement la personne fautive.
Propos diffamatoires sur Facebook
Sur Facebook, tout comme sur les autres réseaux sociaux, la diffamation peut résulter par exemple :
- De la diffusion de propos écrits
- De la diffusion d’images
- De la diffusion de vidéos
- De la propagation d’informations sur quelqu’un
- De l’usurpation de l’identité d’une personne afin de la discréditer auprès d’autres utilisateurs
- D’accuser ouvertement quelqu’un d’un crime ou d’un geste désapprouvé par la société
L’exemple de Sylvain Bouchard (FM93)
Reprenons l’exemple présenté par Sylvain Bouchard dans la chronique avec Me Mélançon sur les ondes du FM93 (voir : 1 minute 45 du fichier audio).
En janvier 2018, un entrepreneur québécois suivi par plus de 17 000 internautes se fait justice lui-même sur sa page Facebook. Il rédige la publication suivante (nous avons retiré le nom de la victime).
**Alerte au crosseur** [Monsieur X] de Trois-Rivières m’a acheté 6 billets à 280 $ l’unité dans ma loge pour voir Nickelback le 29 juin dernier. Six mois plus tard, il me doit toujours 1180 $ qu’il tente de ne pas payer. Faites circuler svp. Aux personnes suivantes, amis et famille de [Monsieur X], dites-lui de payer.
Dans la publication originale, l’entrepreneur nomme également les membres de la famille de Monsieur X.
La publication de l’entrepreneur est un excellent exemple de propos diffamatoires sur les réseaux sociaux. Elle porte atteinte à la réputation de Monsieur X en l’accusant publiquement de ne pas payer sa dette (ce qui sous-entend qu’il est un voleur) et en le qualifiant de « crosseur ».
Le comportement de l’entrepreneur est aggravé par le fait de demander aux internautes de faire circuler la publication au plus grand nombre et par le fait d’identifier les membres de la famille de Monsieur X.
Il s’agit du parfait exemple d’un utilisateur qui a tenté de se faire justice lui-même sur les réseaux sociaux.
Et si les propos sont vrais ?
La Cour suprême du Canada, le plus haut tribunal du pays, reconnait que les propos tenus à l’égard d’une personne peuvent être diffamatoires, qu’ils soient vrais ou non. Il faut donc redoubler de prudence dans votre utilisation des réseaux sociaux.
Il est possible d’identifier trois situations susceptibles d’engager la responsabilité de l’auteur de paroles diffamantes.
La première survient lorsqu’une personne prononce des propos désagréables à l’égard d’un tiers tout en les sachant faux. De tels propos ne peuvent être tenus que par méchanceté, avec l’intention de nuire à autrui.
La seconde situation se produit lorsqu’une personne diffuse des choses désagréables sur autrui alors qu’elle devrait les savoir fausses. […]
Enfin, le troisième cas, souvent oublié, est celui de la personne médisante qui tient, sans justes motifs, des propos défavorables, mais véridiques, à l’égard d’un tiers.
Les paroles s’envolent, les écrits restent
Tenir des propos diffamatoires sur les réseaux sociaux, c’est dangereux. Bien souvent, encore plus dangereux que de tenir des propos diffamatoires de vive voix.
Contrairement aux simples paroles, le web est permanent et instantané. Il est donc difficile de revenir en arrière ou de se rétracter après avoir diffusé des propos considérant les copies et les partages qui sont faits par d’autres internautes.
Les tribunaux québécois rappellent, dans un nombre croissant de décisions, que les réseaux sociaux sont un outil de diffusion puissant. Bien souvent, son utilisation laisse des traces et ne pardonne pas. C’est pourquoi au Québec, les tribunaux sanctionnent sévèrement ceux qui utilisent Facebook et les autres réseaux sociaux pour se défouler et pour régler des comptes.[1]
[1] Voir Carpentier c. Tremblay, 2013 QCCQ 292 (CanLII), http://canlii.ca/t/fvthv, par. 58 et s. et Lapensée-Lafond c. Dallaire, 2014 QCCQ 12943 (CanLII), http://canlii.ca/t/gfz82, par. 58 et s.
Reprenons l’exemple précité de l’entrepreneur à succès qui cherche à se faire payer une somme de 1180 $. Bien que la publication semble avoir été supprimée, elle demeure, après vérification, toujours accessible sur Internet. Elle a été partagée par un nombre impressionnant d’internautes.
Partager des propos diffamatoires, est-ce risqué ?
Il n’est pas rare de voir une publication diffamatoire partagée par un nombre important d’utilisateurs.
En 2011, la Cour suprême du Canada se penche sur l’affaire Crookes c. Newton. La Cour conclut que le simple fait de partager un lien vers un blogue qui contient des propos diffamatoires à l’égard d’autrui n’est pas nécessairement un acte diffamatoire.
Or, la ligne est mince, car l’ajout de quelques mots au soutien d’un tel partage peut renchérir le contenu diffamatoire et engager la responsabilité de celui qui a contribué à la diffusion de la publication.
L’affaire Crookes c. Newton a été rendue dans des circonstances bien précises. Il est donc possible que des circonstances légèrement distinctes puissent conduire à une décision différente des tribunaux.
Un exemple de partage risqué
Prenons l’exemple d’une personne qui est suivie par 40 internautes Facebook. Elle rédige un commentaire diffamatoire à l’égard de son voisin. Le commentaire contient le nom, l’adresse et le numéro de téléphone de la victime. Une personnalité publique suivie par 50 000 utilisateurs décide de partager au grand public cette publication sans se soucier des conséquences de son geste.
En droit, il serait possible de plaider que cette personnalité publique, du simple fait d’avoir partagé une publication à un aussi grand auditoire, a délibérément porté atteinte à la réputation de la victime.
Anecdote : en Suisse, un homme a été condamné pour diffamation en raison d’un simple « J’aime » sur une publication au contenu diffamatoire !
Victimes de diffamation ? Systèmes de signalement
Avant d’envisager un recours judiciaire, il faut considérer les solutions pratiques et modernes qui s’offrent dans le monde technologique.
Facebook offre un système de signalement permettant de faire cesser rapidement et à moindres coûts le partage de propos diffamatoires. Il s’agit de la première étape avant de se présenter devant les tribunaux. Après avoir limité les dégâts, il est possible de négocier un certain dédommagement à l’amiable, si tel est votre souhait.
Victimes de diffamation ? Recours judiciaires
Parfois, l’intervention des tribunaux est nécessaire. L’injonction permet de forcer une personne à retirer un propos diffamatoire des réseaux sociaux. Malheureusement, une telle ordonnance a des effets limités puisqu’en pratique, les propos ont probablement déjà été partagés par les internautes à une vitesse exponentielle.
Les tribunaux peuvent également accorder à la victime un dédommagement monétaire pour compenser les inconvénients subis et pour punir le fautif.
Le montant de l’indemnité variera en fonction de différents facteurs comme la gravité des propos tenus, le nombre de personnes qui ont eu accès à la publication, le caractère intentionnel de l’atteinte à la réputation ou encore, la divulgation d’informations ou d’images qui relèvent du domaine privé, personnel ou intime.
En bref
Les réseaux sociaux sont un outil de diffusion de l’information efficace, mais redoutable. Un propos tenu sur Internet à l’égard d’une autre personne, qu’il soit vrai ou non, peut être très dommageable car il est difficile, voire impossible d’en limiter la propagation.
Il faut être prudent et éviter d’utiliser les réseaux sociaux pour se faire justice soi-même. Cela pourrait coûter très cher !
La morale de l’histoire ? Sur les réseaux sociaux et en ligne, mieux vaut se tourner la langue sept fois avant de parler plutôt que de devoir s’expliquer devant un juge !
Pour plus d’informations sur la diffamation, consultez notre article « Diffamation et atteinte à la réputation ».
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