L’acheteur d’une entreprise qui découvre que des vices cachés affectent des biens qui la composent a-t-il des recours contre le vendeur de l’entreprise? Nos avocats en droit des affaires à Québec et Lévis vous aident à y voir plus clair.
Étude de cas
Jean est mécanicien et il est propriétaire de son propre garage, Mécanique 123 inc., une société par actions dont il est propriétaire depuis plus de 30 ans. Il vend aujourd’hui son entreprise à Carl, laquelle est composée de divers biens corporels, dont un inventaire et un immeuble dans lequel les opérations commerciales sont réalisées.
Quelques mois après l’achat de l’entreprise, Carl, l’acheteur, remarque que l’immeuble s’affaisse et les ingénieurs concluent qu’il est nécessaire d’installer des pieux aux coût de 125 000 $. Carl se demande s’il peut intenter un recours en vices cachés contre Jean, son vendeur, pour récupérer le montant de la facture.
Vente d’actifs ou vente d’actions
Dans le cadre de la vente de son entreprise, Jean a la possibilité de procéder par le biais de la vente des éléments d’actifs de l’entreprise, ou par la vente des actions qu’il détient dans l’entreprise.
Bien que ce choix soit généralement fait à partir de considérations fiscales, il entraîne des conséquences juridiques, notamment quant à l’application du régime de garantie légale contre les vices cachés.
L’étude de cas présentée ne précise pas si Jean a vendu son entreprise par un mécanisme de vente d’actifs ou par un mécanisme de vente des actions de Mécanique 123 inc. Analysons les droits de Carl, l’acheteur de l’entreprise, selon les deux scénarios.
La vente des actifs d’une entreprise
Analysons d’abord le scénario où Carl a procédé à l’achat des actifs de Mécanique 123 inc., afin de savoir si ce dernier dispose d’un recours en vices cachés contre Jean, le vendeur de l’entreprise.
Le Code civil du Québec prévoit le principe général à l’effet qu’au Québec, la vente de biens est automatiquement assortie d’une garantie légale de qualité. La garantie légale de qualité donne ouverture au recours en vices cachés et elle est encadrée notamment par l’article 1726 du Code civil du Québec, qui se lit comme suit:
1726. Le vendeur est tenu de garantir à l’acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l’usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l’acheteur ne l’aurait pas acheté, ou n’aurait pas donné si haut prix, s’il les avait connus.
Il n’est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l’acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert.
La vente d’une entreprise par le mécanisme de la vente de ses éléments d’actifs est donc assujettie à la garantie légale contre les vices cachés. Or, il demeure loisible aux parties à l’acte de vente de convenir par écrit que les biens vendus le sont sans garantie légale et que la vente est faite aux risques et périls de l’acheteur.
En reprenant les faits de l’étude de cas précitée, si Carl a acheté l’entreprise Mécanique 123 inc. par le biais d’un mécanisme d’achat d’actifs, et en l’absence d’une clause au contrat de vente stipulant que les biens sont vendus sans garantie légale aux risques et périls de l’acheteur, l’immeuble est automatiquement vendu avec la garantie légale de qualité et Carl peut poursuivre Jean, le vendeur de l’entreprise, en invoquant que l’immeuble est affecté d’un vice caché.
La vente des actions d’une entreprise
Analysons maintenant le scénario où Carl a procédé à l’achat des actions de Mécanique 123 inc., détenues en totalité par Jean, le vendeur de l’entreprise.
En cas de vente des actions d’une entreprise, les biens vendus sont les actions de l’entreprise et non pas les actifs qui la composent, tels : immeubles, marchandises, équipements, etc. Ainsi, la nature des biens vendus (les actions) rend difficilement applicable le concept de garantie légale, tel que mentionné par les tribunaux.
L’affaire De Leeuw (1991)
La jurisprudence précise que les actions d’une entreprise sont des biens incorporels, donc non matériels. En 1991, dans l’affaire De Leeuw c. Caisse populaire Notre-Dame-de-Québec, 1991 CanLII 3454 (QC CA), la Cour d’appel du Québec qualifie l’action d’une entreprise de la manière suivante :
« […] l’action est un bien incorporel, ou plutôt un droit mobilier, une sorte « d’intérêt » dans la compagnie qui n’est ni celui d’un propriétaire, ni celui d’un créancier, mais plutôt celui, mesurable en argent, conférant à l’actionnaire certains droits ou intérêts par la loi et les termes d’un contrat. »
Selon la jurisprudence, la nature incorporelle des actions cadre donc mal avec le concept de la garantie légale contre les vices cachés, lequel vise à retenir la responsabilité du vendeur au regard d’un déficit d’usage matériel du bien vendu. En effet, l’action vendue ne peut pas véritablement être atteinte d’un déficit matériel d’usage car, justement, elle est incorporelle et non matérielle.
Selon les enseignements de la Cour d’appel dans l’affaire De Leeuw, par l’achat des actions, l’acheteur acquiert une sorte d’intérêt dans l’entreprise. Il ne se verra pas privé de l’usage de son action si un actif de l’entreprise transféré par la vente d’actions est affecté d’un vice caché.
Aucune garantie légale pour des actions
Partant de ces enseignements de la Cour d’appel dans l’affaire De Leeuw de 1991, les tribunaux, notamment dans les affaires Beauregard c. Kovac 2009 QCCQ 5576 et Villa Royale inc. c. Roy 2016 QCCS 5571, ont rejeté des recours en vices cachés intentés par des acheteurs ayant acquis des entreprises par un mécanisme d’achat d’actions.
Globalement, ces décisions confirment que l’état du droit est aujourd’hui clair. Contrairement à l’acheteur qui acquiert une entreprise par l’achat de ses éléments d’actifs, l’acheteur qui acquiert une entreprise par l’achat de ses actions ne peut pas poursuivre son vendeur s’il découvre ultérieurement que l’un des biens constituant l’entreprise est affecté d’un vice caché.
Afin de clore définitivement le débat, la Cour supérieure, dans l’affaire Villa Royale inc. c. Roy précitée, mentionne :
« Ce faisant, puisqu’incorporelle, une action d’une société ne peut être atteinte d’un vice caché puisque la garantie de qualité est conçue pour assurer l’utilité du bien et son usage. Tant la jurisprudence que la doctrine ont écarté l’application des règles de la garantie de qualité pour de tels titres. »
En reprenant les faits de l’étude de cas précitée, si Carl a acheté l’entreprise Mécanique 123 inc. par le biais d’un mécanisme d’achat d’actions, la vente n’est pas assujettie à la garantie légale de qualité et Carl ne peut pas poursuivre Jean, le vendeur de l’entreprise, en invoquant que l’immeuble est affecté d’un vice caché.
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Note : Les informations présentées ci-dessus sont d'ordre général et ne constituent pas des conseils juridiques. Afin d'obtenir un avis sur votre situation juridique particulière, n'hésitez pas à communiquer avec l’un de nos avocats de Québec, Lévis ou Montmagny.