En droit québécois, la loi prévoit que les travaux de construction doivent être exécutés selon les « règles de l’art ». Nos avocats en droit de la construction vous présentent ce concept juridique et l’état de la jurisprudence sur le sujet.
Le Code civil du Québec
L’article 2100 du Code civil du Québec impose aux entrepreneurs en construction de construire un ouvrage qui soit conforme au contrat et d’agir conformément aux règles de l’art :
2100 C.c.Q. L’entrepreneur et le prestataire de services sont tenus d’agir au mieux des intérêts de leur client, avec prudence et diligence. Ils sont aussi tenus, suivant la nature de l’ouvrage à réaliser ou du service à fournir, d’agir conformément aux usages et règles de leur art, et de s’assurer, le cas échéant, que l’ouvrage réalisé ou le service fourni est conforme au contrat.
Lorsqu’ils sont tenus au résultat, ils ne peuvent se dégager de leur responsabilité qu’en prouvant la force majeure.
Cette obligation de respecter les règles de l’art est d’ « ordre public », ce qui signifie :
- Que cette obligation, imposée par la loi, s’applique à tout contrat de construction même si le contrat ne le mentionne pas spécifiquement;
- Qu’il est impossible de déroger ou renoncer à cette obligation. Un entrepreneur en construction ne peut donc pas convenir avec son client qu’il effectuera des travaux qui ne respecteront pas les règles de l’art.
Définition juridique des « règles de l’art »
Selon les tribunaux québécois, la notion de travaux conformes aux règles de l’art se décline en divers volets, notamment :
- Le respect de méthodes de construction reconnues
- Le choix de matériaux appropriés
- Le respect des normes d’assemblage ou d’installation
- Le respect de cahiers de charges-types
- L’utilisation de techniques et procédés qui prévalent au sein d’une profession
Ainsi, l’entrepreneur se doit de connaître et de respecter les méthodes de travail, les techniques et les procédés de construction et d’assemblage qui prévalent dans son domaine d’expertise, et ce, à l’époque où le contrat est exécuté.
À titre d’exemple, les règles de l’art peuvent être fondées sur des guides d’installation ou sur les directives des fabricants de matériaux, ou encore, sur les exigences du Code national du bâtiment. Elles peuvent également être fondées sur des exigences règlementaires ou des normes particulières imposées par des municipalités ou certains secteurs spécifiques (ex : règlements et codes de construction municipaux, ou encore, dispositions relatives aux biens immobiliers patrimoniaux).
Le Code national du bâtiment
Le Code national du bâtiment est un code canadien modèle qui contient des règles techniques concernant la conception, la construction et la rénovation de bâtiments au Canada. Il est élaboré par la Commission canadienne des codes du bâtiment et de prévention des incendies afin de guider les différentes provinces canadiennes dans l’élaboration de leur propre Code.
IMPORTANT : Le Code national du bâtiment n’est pas un règlement ayant force de loi. En effet, tandis que les règlements doivent être adoptés par le Gouvernement du Canada, ce Code est plutôt élaboré par une commission canadienne. Les normes prévues dans ce code sont des « codifications de règles de l’art par des spécialistes de la construction » [1] et n’ont donc pas exactement le même statut légal que les règles établies par la loi.
Ceci étant dit, l’entrepreneur, qui se doit d’être compétent dans son domaine d’expertise, est présumé connaître les règles élaborées par le Code national du bâtiment. Le respect de ces normes devrait permettre, dans une certaine mesure, une construction exempte de vices et de défauts. À ce sujet, la Cour d’appel, dans l’affaire Groulx c. Habitation unique Pilacan inc., ajoute ce qui suit :
« Quoique dépourvues de caractère règlementaire, les normes jouissent de la confiance générale qui, à elle seule, leur confère une autorité de fait plus que de droit. La généralisation de leur usage permet à l’entrepreneur qui y réfère de s’assurer en principe de la protection des tribunaux, car les prescriptions indiquées garantissent, d’après les données actuelles de la science et de la technique, une construction exempte de vices et de défauts. »
Pour compléter ces propos, le professeur Jean-Louis Baudouin, dans son ouvrage Les Obligations, 7e édition (2013), mentionne : « Respecter le Code National du bâtiment du Canada n’emporte donc pas une exonération, tout comme y contrevenir ne garantit pas une condamnation ».
Autrement dit, un entrepreneur qui contrevient aux normes du Code national du bâtiment n’engagera pas automatiquement sa responsabilité civile. Quant à l’entrepreneur qui respecte le Code, il agira en principe selon les règles de l’art et les risques qu’il engage sa responsabilité sur un chantier de construction s’en retrouvent donc nettement limités, bien qu’ils ne soient pas totalement inexistants.
Bien que n’ayant pas force de loi, les normes du Code national présentent un cadre de référence de pratiques qui respectent les règles de l’art. Cependant, toute dérogation apportée à ces normes ne constituera pas automatiquement une contravention aux règles de l’art. En effet, les tribunaux confirment qu’un entrepreneur qui s’écarte des normes du Code national peut néanmoins agir selon les règles de l’art, en autant que cet écart ne devienne pas un vice de construction ou une malfaçon. À ce sujet, la Cour d’appel, dans l’affaire Groulx c. Habitation unique Pilacan inc., mentionne ce qui suit :
« L’entrepreneur peut utiliser d’autres procédés que ceux ayant fait l’objet d’une appréciation technique, mais si le maître de l’ouvrage invoque la différence de qualité entre la construction réalisée et les normes, il importera de déterminer si les normes correspondent ou non à la qualité moyenne des matériaux ou techniques utilisés. […]
Une fois constaté l’écart par rapport à la norme, il reste à décider si l’on est en présence d’une malfaçon. Cette étape de l’analyse est cruciale. »
L’entrepreneur en construction doit donc être prudent, puisqu’une dérogation au Code national du bâtiment qui affectera à la baisse la qualité de la construction constituera probablement une malfaçon ou un vice de construction, ce qui engagera sa responsabilité civile.
Le Code de construction du Québec
Le Code de construction du Québec, quant à lui, contient des dispositions techniques concernant la conception, la construction et la rénovation de bâtiments au Québec. Il s’applique aux travaux de construction de bâtiments visés par la Loi sur le bâtiment (chapitre B-1.1) et aux équipements destinés à l’usage du public, de même qu’aux installations électriques, pétroliers, de plomberie et celles qui sont destinées à utiliser, distribuer ou entreposer du gaz. Il encadre autant les concepteurs de plans et devis (architectes, ingénieurs, technologues) que les entrepreneurs.
Le Code de construction s’inspire des normes du Code national du bâtiment et reprend même certaines d’entre elles, mais contrairement à ce dernier qui est élaboré par une commission canadienne, il est adopté par le Gouvernement du Québec (Code du bâtiment RLRQ c. B-1.1. r.2), ce qui lui confère un statut réglementaire (qui a force de loi).
Au plan pratique, cette distinction est fondamentale. Toute portion d’un ouvrage ou tous les travaux qui sont assujettis au Code de construction du Québec doivent être conformes à ses exigences, à défaut de quoi on pourrait conclure qu’il y a malfaçon ou vice de construction.
Autrement dit, si l’entrepreneur respecte les exigences du Code de construction du Québec, il respectera également la loi et en principe, sa responsabilité civile ne sera pas engagée à ce niveau.
Advenant que le Code de construction du Québec soit muet sur un quelconque sujet (comme par exemple sur les matériaux de construction à utiliser ou sur les méthodes à employer pour effectuer un certain type de travaux), ou advenant que les travaux entrepris ne soient pas visés par le champ d’application du Code, l’entrepreneur demeurera tout de même soumis à son obligation générale de respecter les règles de l’art, conformément à l’article 2100 du Code civil du Québec. L’entrepreneur devra donc se référer à toute autre source pertinente, (comme le Code national du bâtiment, les guides d’installation, ou les directives de fabricants de matériaux, ou encore, les exigences règlementaires ou les normes particulières énumérées par un organisme particulier, etc.) pour connaître les règles de l’art applicables en la matière.
Précisions apportées par les tribunaux
Au fil des années, les tribunaux sont venus apporter certaines précisions sur la question des règles de l’art, notamment les suivantes :
- L’entrepreneur n’est pas tenu d’utiliser la meilleure méthode de construction, en autant que sa méthode demeure conforme aux règles de l’art. Parfois, la meilleure méthode peut entraîner des coûts et des délais qui ne sont pas proportionnels à la finalité de l’ouvrage.
- L’entrepreneur peut utiliser des techniques ou des matériaux novateurs et non uniquement des techniques ou des matériaux conventionnels, en autant que la qualité des travaux ne s’en trouve pas affectée.
- Parce que les pratiques de la construction évoluent sans cesse, on ne pourra pas reprocher aujourd’hui à un entrepreneur d’avoir utilisé une technique ou des matériaux inadéquats, alors que ces pratiques ou matériaux étaient la norme à l’époque de la construction de l’ouvrage. À titre d’exemple, on ne saurait reprocher aujourd’hui à un entrepreneur d’avoir isolé un bâtiment des années soixante-dix avec de l’amiante.
Conséquences du non-respect des règles de l’art
Les tribunaux sont venus préciser que l’entrepreneur ou le sous-traitant doivent refuser d’exécuter tout chantier ou tout ouvrage dont les exigences sont contraires aux règles de l’art, à défaut de quoi, ils seront susceptibles d’engager leur responsabilité civile.
L’entrepreneur ou le sous-entrepreneur qui accepte de tels travaux ou celui qui constate, en cours de chantier, que les travaux ne sont pas exécutés conformément aux règles de l’art doit apporter toute mesure corrective appropriée. À défaut, il y aura probablement un vice de construction ou une malfaçon et les garanties légales prévues à 2118 et 2120 du Code civil du Québec trouveront application.
L’article 2118 C.c.Q. offre une garantie de 5 années pour les vices de construction qui affectent la solidité ou la stabilité de l’immeuble, ou qui peuvent causer la perte de l’ouvrage.
2118 C.c.Q. À moins qu’ils ne puissent se dégager de leur responsabilité, l’entrepreneur, l’architecte, l’ingénieur et le technologue professionnel qui ont, selon le cas, dirigé ou surveillé les travaux, et le sous-entrepreneur pour les travaux qu’il a exécutés, sont solidairement tenus de la perte de l’ouvrage qui survient dans les cinq ans qui suivent la fin des travaux, que la perte résulte d’un vice de conception, de construction ou de réalisation de l’ouvrage, ou, encore, d’un vice du sol.
L’article 2120 C.c.Q. offre, quant à lui, une garantie de 1 année en lien avec les malfaçons, soit des problématiques moins graves, mais qui causent tout de même un préjudice au propriétaire de l’ouvrage :
2120 C.c.Q. L’entrepreneur, l’architecte, l’ingénieur et le technologue professionnel pour les travaux qu’ils ont dirigés ou surveillés et, le cas échéant, le sous-entrepreneur pour les travaux qu’il a exécutés, sont tenus conjointement pendant un an de garantir l’ouvrage contre les malfaçons existantes au moment de la réception, ou découvertes dans l’année qui suit la réception
Une contravention aux règles de l’art, selon sa gravité, serait par conséquent susceptible d’être couverte par l’une ou l’autre de ces garanties.
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[1] Groulx c. Habitation unique Pilacan inc. 2007 QCCA 1292
Note : Les informations présentées ci-dessus sont d'ordre général et ne constituent pas des conseils juridiques. Afin d'obtenir un avis sur votre situation juridique particulière, n'hésitez pas à communiquer avec l’un de nos avocats de Québec, Lévis ou Montmagny.